Reconstruire les bases d’un monde en Paix

La deuxième conférence de la série « Trois défis pour le XXIème siècle », proposée en partenariat avec la Bibliothèque et le Foyer rural de Ménerbes, a eu lieu Samedi 29 mars. Comme pour la première, le public était au rendez-vous : la salle était comble et les discussions après la conférence très fructueuses.
Après avoir exploré la question de la préservation des bases du Vivant samedi 9 octobre, Paul a partagé et mis en débat sa réflexion sur un deuxième défi de taille : reconstruire les bases d’un monde en Paix. Voici l’essentiel de son exposé, pour poursuivre le questionnement et contribuer à poser les bases qui permettront un espoir.
Ci-dessous une retranscription audio de la conférence :
Un point de vue marqué par mon vécu
La réflexion que je vais partager et mettre en débat avec vous est le fruit de nombreuses lectures et de mes connaissances en histoire comme en géographie. J’ai dit « mettre en débat » car je n’ai aucune prétention à vous apporter la vérité sur ce sujet et que, comme pour chacun d’entre vous, le point de vue que je vais exposer est marqué par mon vécu.
Trois expériences fortes ont influencé la vision que je porte de la paix. Tout d’abord, alors que je n’étais jamais encore sortie d’Europe, j’ai été, à 24 ans professeurs à l’université de Libreville. Les contacts avec mes étudiants m’ont permis alors de prendre conscience de ce que veut dire une autre culture. J’ai aussi vu de près les effets dévastateurs de la Françafrique et suis donc depuis très sensibles aux effets de la domination occidentale sur le monde. La 2° expérience m’a mis à nouveau en contact avec un autre univers culturel assez différent du nôtre. En 1987 – dans des circonstances trop longues à expliquer- nous avons accueilli, au sein de notre famille, un enfant de 10 ans, venu avec 72 autres enfants du Bengladesh et appartenant à une ethnie bouddhiste, persécutée dans ce pays. C’est à l’appui de cette expérience et fort du lien entretenu depuis 1987 avec beaucoup des 72 enfants accueillis en France que j’ai, au moment de ma retraite, rédigé et soutenu en 2017 une thèse de doctorat de géographie : La Fabrique d’une communauté transnationale les Jummas entre France et Bengladesh. Tout ce travail a été fait, – c’est la 3° expérience forte qui marque mon point de vue – au sein et avec le soutien d’un labo de recherche Mimed à la MMSH d’Aix. La participation aux séminaires de recherche d’un des labos les plus actifs en France sur la question des migrations internationales, m’a permis d’être bien au fait de l’état des recherches en sciences humaines sur la question des migrations.
Reconstruire les bases d’un monde en paix, mais quand on parle de la paix, de quoi parle-t-on ?
Je ne vais pas vous en donner une définition mais montrer comment ce mot est lié à son contexte et à la façon dont se déroulait les guerres. En Europe, jusqu’au XVII°, les guerres étaient l’affaire des princes et de la noblesse dont elle était la fonction. La paix résultait de tractation entre princes avec souvent à la clé des mariages arrangées. Les choses changent à partir du XVII°. En effet, à cette époque commence à se construire l’État-nation dont le modèle s’est propagé, avec la domination européenne, au monde entier. Les guerres finissent par engager la totalité d’une nation et des alliances de nations comme ce fut le cas en 14-18. Dans ce contexte : la paix, est imposé par les vainqueurs, les négociations aboutissent à des compromis souvent humiliants pour les vaincus et comme les rapports de puissance sont eux-mêmes en perpétuelle évolution, ils finissent par disqualifier la transaction passée ; et tout ce qui parait acceptable un jour, devient source de différents dans un contexte qui a changé. La paix est alors la période qui suit ces traités, c’est la « non guerre« .
Avec la 2° guerre mondiale, la guerre change encore de nature et oppose des visions du monde, des idéologies. Au sortir de cette période, l’idée s’impose que ce sont les plus puissants qui sont les protecteurs naturels et efficace de la paix. D’où la composition du conseil de sécurité de l’ONU chargé du maintien de la paix. L’affrontement idéologique, ensuite change de nature et oppose le bloc soviétique et le bloc occidental. Autre changement majeur, l’arme atomique rend trop dangereux l’affrontement direct entre grande puissance, la paix se définit comme le résultat de l’équilibre entre les grandes puissances, l’équilibre de la terreur. Les 2 grandes puissances ne sontpas touchées par la guerre mais s’affrontent au sein des pays du sud (Corée, Vietnam, Angola, Mozambique etc.) qui eux subissent les horreurs de la guerre.
Depuis la fin de la guerre froide, 4 changements importants : les affrontements idéologiques sont plus complexes, les pôles de puissances se sont diversifiés, la mondialisation rend les Etats de plus en plus interdépendants et des périls mondiaux (sanitaire, climatique) devrait obliger à une solidarité mondiale. C’est toujours la non guerre entre les plus puissants. Remarquons qu’en considérant la paix comme étant simplement la non-guerre, nous avouons inconsciemment que la guerre est une fatalité au cœur de la nature humaine.
Il y a cependant une autre façon de définir la paix dont je parlerai dans la 2° partie de cette conférence, C’est l’idéal de paix perpétuelle qu’appelait de ses vœux, en 1795, le philosophe E. Kant. Avant lui, dès 1713, l’abbé de St Pierre, dans son Projet pour rendre la paix perpétuelle, émet l’idée qu’il fallait pour construire la paix s’attaquer aux causes des guerres. Ce que nous allons faire ici dans une 1° partie.

QU’EST-CE QUI PROVOQUE AUJOURD’HUI LES GUERRES ?
4 causes principales
1.1 L’accaparement des ressources par et pour quelques-uns
Selon le dernier rapport de l’Oxfam, en 2023, les 1% les plus riches du Nord ont ponctionné 30 millions de dollars/h aux pays du Sud ; les 1% des Français⸱es les plus riches y ont ponctionné dans l’année près de 20 milliards d’euros.
Dans le même temps, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté n’a pratiquement pas diminué depuis 1990, selon les données de la Banque mondiale. Une femme sur dix vit dans une situation de pauvreté extrême (avec moins de 2,15 euros par jour).
Le système financier via le FMI et la Banque mondiale imposent des conditions drastiques de remboursement des dettes aux pays du Sud ce qui fait que les flux monétaires entre le Nord et le Sud sont en faveur du Nord.
Cet accaparement des ressources, connaît en ce moment une brutale accélération en raison d’une mutation très nette du système capitaliste. Nous sortons du capitalisme libéral qui s’accommodait des règles internationales et de l’état de droit des démocraties pour passer à un capitalisme de prédation. En effet, les élites ont compris que les ressources de la planète sont désormais limitées, d’autant que l’apparition de classes moyennes dans les pays émergeants accroit la demande en ressources de toute nature. Il s’agit donc de s’emparer par la force, en bafouant si besoin toutes règles, des ressources restantes. Donald Trump est l’illustration parfaite de ce tournant du capitalisme (cf les ressources de l’Ukraine ou du Groenland).
Ce capitalisme de prédation conduit non seulement à l’accaparement, des ressources minières ou énergétiques dans des conditions souvent déplorables pour les populations qui les subissent mais aussi à l’accaparement de terres, ou des ressources de l’océan au détriment des paysans et des pêcheurs des pays du sud.
Au sommet de Davos, qui réunit patrons de multinationales, banquiers, responsables politiques influents du monde entier, on a vu le ralliement de ces « élites » mondiales, jusqu’alors adeptes du libéralisme, à ce capitalisme de prédation prôné par Donald Trump. Elles souscrivent à l’idée que trop de règles, trop d’Etat, trop de dépenses sociales, trop de contraintes écologiques constitue des obstacles à faire sauter.
Dans cette bataille sans règles pour se partager les dernières ressources, la loi du plus fort est donc celle qui prévaut. Cela porte en germes bien des affrontements. Pour paraphraser ce que disait Jaurés en 1895, « ce capitalisme de prédation porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage”.
1.2 Les discriminations spatiales se renforcent au sein des villes, des régions, des Etats et du Monde.
Les économies du monde sont de plus en plus interdépendantes. Les périls qui nous menacent sont planétaires. On pourrait penser que cela conduit à une unification de la planète sauf qu’au contraire, on observe une fragmentation du monde. A toutes les échelles, on voit s’ériger des murs, des pratiques de cloisonnement de l’espace discriminants les plus pauvres, les cantonnant dans des formes variées de bidonvilles, de ghettos, voire de camps.
Se dessine donc un monde clivé où les formes de mixité sociale disparaissent peu à peu : le géographe peut ainsi distinguer à très grand trait :
- Des mégalopoles dynamiques en réseaux, où se concentrent pouvoirs et richesses et qui sont délestées des activités industrielles les plus nocives.
- Au Nord de vastes espaces de monocultures intensives + élevages carcéro-industriels, nourrissants à bas coûts les populations les plus modestes, dans des campagnes qui se dépeuplent et qui perdent leurs services publics. Au Sud, des paysans contraints à des cultures d’exportation, exposés à des produits phytosanitaires interdits au Nord.
- Des villes moyennes entourées soit d’espaces périurbains pour les classes moyennes soit d’espaces d’insécurité abandonné aux trafics de drogues, prenant la forme au Sud de bidonvilles. Dans les pays les plus pauvres : on y trouve les activités industrielles les plus nocives, le traitement des déchets les plus toxiques.
- Enfin des enclaves sécurisées très luxueuses pour les plus riches : gated communities dont la forme la plus spectaculaire : les iles fortifiées du Pacifique.
Comme le remarque Abdenour Bidar philosophe, inspecteur générale de l’Education Nationale, « Dans tous ces territoires ou la mixité sociale et/ou culturelle n’existe plus comment voulez-vous concrètement fraterniser, comment voulez-vous vous sentir proche de ceux que vous ne voyez jamais, dans de telles conditions les idéaux de fraternité et d’égalité deviennent des fumisteries…».
1.3 Les risques pour la paix du rejet des migrants
Nous vivons un moment de l’histoire où nous sommes souvent en contact avec des hommes et des femmes d’une grande diversité culturelle. Malheureusement, cela est vécu, non comme une chance, mais comme un risque ce qui produit, en bien des lieux du monde, un enclavement des plus favorisés par la fermeture de vaste région à l’arrivée de migrants.
Les frontières sont des lieux où s’exerce la violence du rejet, des lieux de surveillance, de tri et de contrôle où se déploient des moyens de plus en plus sophistiqués pour le rejet des populations qualifiées d’indésirables (murs, avec tout un outillage de capteurs, détecteurs infrarouges, drones, sentinelles robotisées pour empêcher l’entrée puis tout un système d’enregistrement des empreintes, voire des visages grâce à des algorithmes de reconnaissance faciale tout cela enregistré dans des banques de données). Tout cela fait vivre un système frontièro-industriels, très actif et bénéficiaire des politiques d’enfermement et tout un système mafieux de passeurs. Qui plus est, l’Union Européenne, par exemple, sous-traite le contrôle des migrants en finançant des pays de passages (Maghreb, Turquie et surtout Libye pour qu’ils retiennent les migrants et cela dans des conditions abominables). On ne sait pas combien sont morts dans ces pays. Mais on sait déjà que 30 000 migrants sont morts depuis 2014 en traversant la Méditerranée. Si vous faites le calcul : 200 par mois dans l’indifférence générale. Imaginez chaque mois dans l’UE un attentat avec 200 victimes !
Mais cette fermeture des frontières ne s’exerce pas de la même façon pour tous. Il est intéressant de voir qui aujourd’hui a le droit de circuler et qui n’a pas ce droit. Aucun souci pour expatrié français aux USA, et en France, c’est plus facile pour un ukrainien, que pour un syrien ou un afghan. L’accès inégal à la liberté de circulation révèle de profondes discriminations à caractères racistes qui montrent que nos sociétés ne sont pas libérées d’une vision inégalitaire des composantes de l’humanité. Et vous imaginez bien que cela provoque un fort ressentiment au sein des populations ainsi traitées.
Cette fermeture des pays les plus riches prive aussi les pays du Sud de ressources. En effet, le rapatriement des fonds gagnés par les populations migrantes s’élevait en 2023 à 700 milliards de dollars alors que la totalité des aides publiques au développement (APD) n’était que de 180 milliards de dollars ! La migration est une source essentielle de revenus pour bien des familles dans les pays les plus pauvres.
1.4. Les risques pour la paix du repli identitaire
Trump, Poutine, Modi, Milei, Erdogan, la liste est longue de ces grands pays qui ont porté au pouvoir, par le biais d’élection, des dirigeants qui veulent s’exonérer de l’Etat de droit. Ils ont séduit leur électorat en prétendant défendre une identité nationale et/ou religieuse présentée comme menacée et sur le rejet d’un autre menaçant (migrants venus de l’extérieur, minorité interne). Ces dirigeants mettent en place des programmes ouvertement antidémocratiques à caractère parfois raciste. On a vu pour quelles raisons les « élites nationales » y voient désormais leurs intérêts. Mais la question est de savoir pourquoi une majorité de la population – dont une grande part au sein des milieux populaires – les ont élus.
Dans beaucoup de ces Etats des travailleurs – agriculteurs, ouvriers, employés – qui voient leur revenu stagner et subissent un sentiment de déclassement, ont été convaincus, via des médias entre les mains des milliardaires ou des réseaux sociaux entre les mains des Gafas, par le message suivant : Vous producteurs de richesses, vous êtes victimes de parasites qui profitent de votre travail.
Selon eux, qui sont ces parasites ?
- les assistés sociaux (d’où la volonté, qui arrange bien le capitalisme prédateur, de réduire le rôle social des Etats)
- les migrants qui submergent le territoire. Ils menaceraient l’identité nationale et il faudraient en avoir peur. Ces bouc-émissaire arrangent bien le capitalisme prédateur, en détournant de l’idée que les vrais parasites sont ceux qui exploitent leur travail.
- les écologistes, qui empêcheraient par de multiples freins réglementaires, le développement de votre activité économique. Ce qui arrange bien le capitalisme prédateur qui voit dans les actions de protection de la biodiversité un frein à leurs activités de prédation.
Face à la peur et au sentiment de se voir dépouillés, elles attendent un Etat moins social, plus sécuritaire que seul un homme fort balayant les contre-pouvoirs peut satisfaire. Homme fort, pouvoir raciste, rejet des règles démocratiques, appui populaire : l’histoire ne se répète pas. Mais rappelons qu’Hitler est arrivé au pouvoir au sein d’une démocratie avec un appui populaire et qu’il a ensuite créé un état totalitaire qui a conduit à la guerre. L’évolution politique des grandes puissances du monde n’est donc pas rassurante pour la paix.
Parenthèse : je n’ai pas évoqué les guerres civiles qui ensanglantent l’Afrique et le Moyen Orient, mais on y trouve les mêmes facteurs de guerre : lutte pour l’accaparement des ressources, exacerbation des identités, révolte de groupes qui se sentent discriminés, le tout aggravé par les effets de domination N/S et par le réchauffement climatique.
ALORS COMMENT PRÉSERVER LES CHANCES DE LA VRAIE PAIX ?
En construisant un autre récit, une autre façon de lire le monde que ce qui nous est souvent proposé.
2.1 Construire une autre façon de définir la paix.
Ne plus penser la paix comme une pause dans la guerre (une non-guerre) mais comme un état global et durable à construire et qui doit être une des priorités absolues du XXI° siècle. Ce n’est pas un rêve, une utopie mais une nécessité absolue. Pourquoi ?
Une guerre est toujours et plus que jamais une catastrophe, bien sûr par les horreurs qu’elle provoque mais aussi parce que nous savons désormais que les ressources de la planète sont finies. Cette conscience est totalement nouvelle dans l’histoire de l’humanité. Il est donc stupide de gaspiller ces ressources en se les envoyant sur la gueule, en fabricant toujours plus d’armes, pour reconstruire ensuite ce que l’on a détruit. Dans le contexte de dérèglement climatique et d’effondrement des bases du vivant, toute guerre est – outre une absurdité – une catastrophe globale tant nous sommes tous liés les uns aux autres par la mondialisation. La 1° guerre mondiale a eu des effets catastrophiques pour l’Europe. Une guerre mondiale pourrait être un suicide de l’humanité !
La paix est alors non pas à maintenir mais à construire. Il s’agit de comprendre que l’art de la paix est un art « global » qui se définit comme une démarche visant à satisfaire les besoins tenus pour essentiels à la survie de l’humanité face à des menaces planétaires multiples, insécurité alimentaire, sanitaire, climatique. Comme la médecine préventive, qui vise à prévenir la maladie en soignant l’équilibre du corps dans sa totalité, l’art de la paix vise à prévenir les guerres en engageant à différentes échelles, tous les humains à construire les bases de relations paisibles entre les pays ou les groupes sociaux.
Prenons une des menaces planétaires qu’est le dérèglement climatique. Il est meurtrier en ce qu’il provoque désertification ou inondation, en ce qu’il aggrave les conditions alimentaires et sanitaires et en ce qu’il provoque, en bien des lieux, des conflits et des guerres alimentant des mouvements de réfugiés.
Pour affronter ce défi, comme les autres, et ainsi agir préventivement pour la paix, il faut développer, sur des bases égalitaires entre les nations, des programmes mondiaux de prévention de la catastrophe à venir. Ce fut le rôle des COP sauf qu’elles n’ont pas été construites sur des bases égalitaires. En effet, elles n’ont pas tenu compte du fait que les pays en développement sont bien plus menacés par le réchauffement. Les COP ont toujours éludé la question cruciale du financement des équipements en la matière des pays les plus pauvres. Sur ce point les habitants des pays du sud réclament avant tout une solidarité, ni caritative, ni démonstrative mais simplement efficace et pudique. Lors des COP, l’intérêt global est resté subordonné aux intérêts nationaux des Etats les plus riches et des multinationales. On est donc là loin du multilatéralisme égalitaire, seule solution face aux catastrophes climatique, sanitaire, alimentaire à venir. Avec le tournant vers un capitalisme prédateur, on s’en éloigne encore.
Les Etats – en particulier ceux qui sont en plein repli identitaire – préfèrent se trouver un ennemi plutôt que d’affronter les risques planétaires qui nous concerne tous. Nommer un ennemi est une réponse facile et l’Histoire montre combien l’ennemi mobilise, voire déculpabilise un corps social rassemblé devant une menace au visage bien connu. Leurs dirigeants oublient que l’intérêt national n’est servi que si les intérêts globaux sont préalablement satisfaits, qu’il n’est plus possible de se limiter au cadre des États face aux risques globaux sanitaires et environnementaux. Tout comme l’est l’individualisme, une vision étroitement nationaliste du monde est contre-productive. Pour une vraie paix, il nous faut en sortir. On ne combat pas les risques globaux en blindant ses frontières alors que les Etats sont fortement interdépendants.
2.2. Sortir des délires de la recherche de puissance des États.
L’histoire montre le lien très fort entre la recherche de puissance des États ou des Empires et la guerre, d’où l’absurdité du Conseil de sécurité de l’ONU, inchangé depuis 1945 où la puissance a été érigée en juge suprême, oubliant ainsi que la puissance dont il est le sanctuaire était le premier moteur de guerre. L’histoire montre aussi qu’une des principales causes des guerres et des conflits, se trouve presque toujours être l’humiliation vécue que ce soit par un groupe social ou par une nation face à une domination.
Pour construire la paix, la solidarité doit donc se substituer à la compétition de puissance. L’humilité est souvent plus efficace que l’arrogance. Tisser des liens requiert une relation sans rapport de force, des partenariats entre égaux et des efforts pour le comprendre. La connaissance des pays du Sud m’a rendu conscient que nous sommes souvent perçus, nous français, comme arrogants. Cette arrogance a pris souvent les formes d’un paternalisme nous amenant à nous considérer comme ceux qui aident nos partenaires à atteindre les valeurs de la civilisation, mais beaucoup ne sont pas dupes tant nous avons dans l’histoire trahit les valeurs que nous défendons, valeurs qui ont souvent servis à masquer la défense de nos intérêts.
Dans ce cadre on peut s’interroger sur l’usage des sanctions par des donneurs de leçon qui usent de leur puissance. Elles sont souvent contre-productives surtout quand elles sont exercées par un puissant en direction d’un plus faible. Sanctionner le faible augmente ses souffrances, accroit son humiliation, provoque son ressentiment et peut le conduire à rallier le camp opposé.
Construire la paix, c’est donc renoncer à l’exercice de la puissance et sortir d’une vision hiérarchique de l’humanité.
2.3. Lutter contre le racisme et connaitre l’Autre
L’humanité est une. Toutes les cultures ont une égale valeur. Postuler que les sociétés et les peuples seraient d’inégale capacité face à une raison universelle incarnée par les Lumières européennes et que les autres civilisations devraient être aidées dans leur développement jusqu’à rejoindre une modernité unique incarnée par l’universalisme occidental est une atteinte à l’idée d’une humanité une. Quelle leçon de droits de l’homme, de démocratie peut donner l’occident quand on sait comment ces beaux principes ont été enfreint depuis le début de la mondialisation au XVI° siècle jusqu’à aujourd’hui ? Construire la paix c’est passer d’une posture d’arrogance à une posture d’échange dont on a tout à gagner. Chaque civilisation est le fruit d’une multitude d’échanges comme le montre le géohistorien C. Grataloup. Toutes évoluent constamment grâce à eux. Grataloup souligne aussi que l’enfermement sur une identité contribue à la stérilisation d’une civilisation.
Aujourd’hui, la mondialisation favorise ces échanges sauf si l’on s’enferme dans un repli identitaire. Elle peut favoriser des formes nouvelles d’empathie, non pas en vue de créer de l’identique, mais dans la perspective de partager avec l’Autre, les valeurs qui sont les siennes.
Si nous sommes en conflits, parler à l’Autre, le comprendre ne veut pas dire l’approuver ni encore l’excuser. D’aucuns cherchent à assimiler la compréhension à l’excuse. C’est une double erreur qui, d’une part ferme la porte à une explication rigoureuse des faits sociaux et d’autre part prive la paix de deux ressources : préventivement en faisant l’effort de comprendre l’Autre, on optimise les chances d’arrêter les dynamiques du conflit avant qu’elles ne dégénèrent en violence, stratégiquement ensuite, la compréhension de l’autre permet d’anticiper ses réactions pour les contenir et, de définir le chemin le plus court vers non seulement une trêve, mais aussi une paix durable.
Construire la paix, c’est aussi accueillir l’Autre : cela ne veut pas dire ouvrir grand ses portes mais considérer l’hospitalité comme évidente dans un jeu politique responsable. En ce sens, le pacte mondial sur les migrations, signé en 2018, à l’ONU par 152 États, est un pas important. « Il reconnait l’apport positif de la migration à la paix, appelant à lutter contre les discriminations, demandant aux États de respecter les spécificités culturelles des migrants notamment en termes de soins et de santé, il entend promouvoir des « migrations sûres, ordonnées et régulières » ».
Cela suppose donc de lutter sans concessions contre les représentations fausses des migrations. Ainsi le fait, pour la France l’avis de l’Institut Convergences Migrations, qui réunit + de 700 chercheur·euses. Ils soulignent que la France n’est pas « submergée » par une immigration « hors contrôle ». La France connaît une progression de la demande de refuge et de séjour comme bien des régions du monde, et ce à un rythme plus modéré que la plupart des pays voisins, loin des niveaux observés dans les pays du Sud. Ils soulignent que nous sommes très loin d’avoir pris notre part dans l’accueil des demandeurs d’asile venues du Proche et du Moyen Orient, que la répartition des migrants et des réfugiés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la générosité de la protection sociale, que « l’appel d’air » est un mythe jamais démontré. En témoignent ces migrants fuient la France au péril de leur vie en traversant la Manche pour aller en Grande-Bretagne.
Construire la paix c’est défendre l’idée qu’une migration convenablement conduite susciterait des relations de proximité et d’échanges capables de générer de la compréhension et de la confiance comme le montre l’action ici à Ménerbes de « droit à l’école ». Mais cela suppose de promouvoir une intégration des arrivants qui ne touche pas seulement l’école mais aussi la ville, le quartier, les loisirs, les soins prodigués, excluant toute ségrégation, toute stigmatisation sans quoi on continue à alimenter au sein des populations mal reçues les ressentiments, voire la violence et dans un cercle vicieux le rejet. On pourrait utiliser les sommes énormes qui financent Frontex, des centres de rétention en UE, en Libye, en Turquie etc. pour une vraie politique d’intégration passant par l’apprentissage très rapide de la langue et un accès facilité au travail.
2.4 La paix est l’affaire de toute la société
La paix à construire est un objectif à ce point crucial qu’elle ne peut plus être l’œuvre des seuls responsables politiques, diplomatiques, militaires et doit être portée par les sociétés. On voit déjà que les conflits comme leurs règlements laissent de plus en plus de place aux acteurs locaux, acteurs économiques, communautaires, religieux, ou « groupes terroristes », la pleine reconnaissance de ceux-ci dans la construction de la paix est devenue indispensable.
Si les sociétés sont appelées à prendre de plus en plus de place dans la paix à construire, il nous faut éduquer à la paix. Comme le soulignait déjà Jean Piaget en 1934, directeur du projet éducation à la Société Des Nations. « Tout enseignement objectif des relations internationales prépare les individus à se libérer de l’illusion égocentrique, dans laquelle ils demeurent enfermés tant qu’ils ne connaissent que leur propre milieu, et à acquérir cette attitude de réciprocité qui est le principe de la collaboration pacifique ».
L’enseignement de l’histoire laisse une grande place à la guerre. Mais il faudrait davantage enseigner l’histoire de la paix, les débats qui l’ont jalonnée, les hommes et des femmes qui l’ont incarnée, des institutions qui l’ont servie. Vous connaissez tous les héros de l’art militaire, de Jeanne d’Arc au maréchal Foch mais qui, ici, connait Léon Bourgeois, premier président de la Société Des Nations ou l’Abbé de Saint Pierre à qui l’on doit l’idée même de « paix perpétuelle » ?
Les jeunes sont aujourd’hui de plus nombreux à se ressentir comme citoyens du monde, il faut amplifier cette évolution, qu’ils sachent que chacun de leurs actes a un sens et des conséquences – même infimes – pour le monde tout entier, et qu’ils sont les responsables du bien commun de l’humanité tant sur le plan environnemental, sanitaire, alimentaire. Dans cette éducation à la paix, l’individualisme doit laisser place à une disposition à assurer l’égalité de participation de tous les individus dans la société, l’esprit de compétition à l’aptitude à la coopération, l’entre-soi à la prise de conscience de la richesse de la diversité, le « faire ensemble » plus que le faire « contre l’autre ou face à l’autre ». Enfin l’éducation devrait faire place à une vraie réflexion sur les méfaits de la violence et une éducation aux méthodes de la lutte non-violente.
Pour conclure construire la paix n’est possible que si l’on a de fortes convictions.
Conviction que :
- Toute vie humaine dans sa singularité est précieuse, que l’usage de la violence en est gravement destructrice.
- Nous sommes davantage que des producteurs-consommateur. Il y a en chaque humain une dimension créative, culturelle, spirituelle qui nous permet d’imaginer un futur de paix.
- Il n’y a aucune hiérarchie à établir entre les humains qui peuvent tous apporter, par leur altérité, leur contribution propre à la construction de la paix.
- Nous sommes capables, en entrant dans de vraies relations avec l’Autre, de dépasser les peurs qui nous enferment et nous rendent inhospitalier.
- La collaboration d’égal à égal est plus performante que la compétition de puissances qui mène à la guerre.
- Pour nos enfants et nos petits- enfants, nous devons sauvegarder les bases du vivant que la guerre met en péril.
- Le respect de l’Etat de droit est le meilleur rempart contre la montée des pouvoirs totalitaires qui menacent la paix.
